Port-au-Prince, le 23 mai 2020
Lettre ouverte aux honorables Président, Vice-président et Membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ)
Messieurs les Conseillers,
Tenant compte de l'extrême gravité de la menace que fait peser la pandémie Covid-19 sur la nation, l'Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH) se dit disposer à se joindre, de bonne foi, aux initiatives raisonnables qui tendent à faire reculer ce mal.
Cela dit, même en pareille circonstance, la raison et le bon sens ne doivent en rien le céder à la panique.
Malheureusement, le décret présidentiel fixant les règles générales de protection contre la Covid-19 témoigne de l'état d'esprit d'un législateur qui, à défaut de manquer de bon sens, laisse entrevoir une méconnaissance avérée de la réalité du fonctionnement des tribunaux de proximité d'une part, d'autre part, du rapport d'adéquation qui doit toujours et nécessaire exister entre la loi et les faits sociaux, d'autre part (De l'esprit des lois de Montesquieu).
Un exemple, sinon le moindre, mais celui sur lequel repose tout le socle de la mécanique des sanctions applicables aux infracteurs : l'article 6.
Cet article élève au rang d'infraction toute réunion de plus de cinq personnes en milieu ouvert ou fermé (la loi pénale étant d'interprétation stricte).
Lorsqu'on sait qu'un Tribunal de simple police se compose au minima d'un Juge, d'un greffier, de deux défenseurs publics, d'un agent au moins assurant la sécurité à l'intérieur de la salle d'audience, en y joignant le ou les prévenus sans omettre le caractère public des audiences de cette nature (qui sont d'ordre public). Il y a fort à parier que pareilles séances ne puissent répondre aux exigences de l'article 6 sans être elles mêmes frappées d'illégalité et donc contraires au dispositif du même article.
C'est comme se tirer d'une balle au pied!
Il semble également que ce législateur se moque à souhait de la nomenclature des peines construites suivant l'architecture pyramidale tenant compte à la fois des infractions, des peines, des juridictions de
jugement et d'application des peines.
Car il est inconcevable qu'en rédigeant un dispositif de cette importance qu'on ne fasse pas appel à des spécialistes du droit et des sciences connexes. Urgence oblige !
Messieurs les Conseillers,
Plusieurs autres dispositifs du dit décret décadrent la réalité légale et sociologique de fonctionnement des Tribunaux de simple police et sont susceptibles d'exposer les Magistrats de Paix aux lynchages en règle de politiciens en mal d'autorité.
L'Association Nationale des Magistrats Haïtiens, gardienne des intérêts des Magistrats, des Juges de Paix en particulier, ne restera pas spectateur si pareils événements venaient à se produire. Pour cause, elle vous invite à voir d'avec l'auteur de ce décret ses difficultés d'application sereine en l'état actuel.
Dans l'espoir que vous voudrez bien donner suite favorable à ce pli, l'ANAMAH vous prie de croire, Messieurs les Conseillers, en l'expression de son profond respect.
Juge Jean Wilner MORIN
Président